samedi 24 janvier 2009

Tornade




SCÈNE 1
Un comptoir de produits de la ferme et autres aliments du terroir. Une jeune adolescente est là en botte de caoutchouc. Elle s'emmerde.
Une femme très élégante entre. La jeune fille se lève pour accueillir la cliente.

NANCY
Salut.

ANDRÉE, trop intense, comme sous un choc
Nancy? C'est bien ça ton nom, hein? C'est Nancy?

NANCY
Oui? J'vous connais-tu?

ANDRÉE, émue
On s'est déjà vue...

NANCY, elle ment
Ha oui? J'vous replace là... Vous venez souvent pour nous acheter du fromage...? C'est ça?

ANDRÉE
Ta mère est-tu là?

NANCY
Attendez. J'vas allez voir si est pas étable. (Elle sort) Maman???

Andrée fait le tour du magasin lentement. Elle touche à certains articles. De plus en plus émue.
Ginette entre.

GINETTE
Bonjour Madame. Qu'est-c'que j'peux faire pour vous?

ANDRÉE
Bonjour Ginette.

GINETTE
Bonjour.

ANDRÉE
Tu me reconnais pas.

GINETTE
Votre visage me dit quelque chose...? Je pourrais pas dire... Je suis désolé. Vous comprenez, on en voit tellement des touristes passer...

ANDRÉE
Je suis pas une touriste, Ginette.

GINETTE
Je...? (Très grand choc. Ginette réalise qui est Andrée). HA!... Doux Jésus! André? C'est ben toé, André???

ANDRÉE
J'suis revenue, Ginette. Je savais que tu me reconnaîtrais même après...

Andrée s'élance vers Ginette. Ginette la repousse violemment. Temps.

GINETTE
Tu m'avais dit que tu avais besoin de temps. J'ai été patiente. J'te faisais confiance... Mais ça fait 7 ans... 7 ans loin de ta famille. J'aurais jamais cru que...

ANDRÉE
Je sais que c'est dur à accepter, mais je suis là. J'suis revenue. J'va's t'aider...

GINETTE
Toi? Toi, tu veux m'aider?

ANDRÉE
Oui. Je peux t'aider.

GINETTE
Pourquoi j'aurais besoin d'aide, moi?

ANDRÉE
Tu sais, j'ai pas changé tant que ça...

GINETTE
Ben non! Pas tellement, c'est vrai! (Elle explose). Pis ta moustache? Pis ton poil su'l'chest? Pis ta bédaine? Pis ton pénis, André? Ton pénis? Il est où ton pénis?

ANDRÉE
C'est des détails, ça, Ginette.

GINETTE
Des détails? Méchants gros détails, je trouve!

ANDRÉE
C'est toi qui m'a tout le temps rabattu les oreilles avec le fait que c'était l'intérieur qui comptait, que le reste ça comptait pas. Tu t'en souviens? Ben, j'ai pas changé de l'intérieur. Je suis toujours la même personne en dedans. C'est à moi que tu as dit : « Oui, je le veux », v'là 25 ans.

GINETTE
V'là 25 ans, j'ai marié un jeune homme fringant avec qui j'ai repris la ferme familiale. Tu sais, quand on se marie avec un cultivateur pis qu'on imagine sa vie dans 20-30 ans, c'est ben rare qu'on se voit main dans la main avec une femme!

ANDRÉE
Tu devrais être fière, Ginette, tu chialais tout le temps que je prenais pas soin de moi!

GINETTE
Quand même, je parlais plus de laisser les plus vieux faire le train ou de manger moins de lard salé pis de langues dans l'vinaigre avant de t'coucher, pas de te faire faire des seins pis un permanent!

ANDRÉE
J'voulais enfin pouvoir dire: « j'me sens bien dans ma peau... » Là... Ça y est. Je suis moi-même... Si tu savais combien j'me sens bien...

GINETTE
C'est correct! C'est correct-là! Tu te sens bien, je l'sais-là. J'ai entendu.

ANDRÉE
Tantôt j'me promenais sur la rue principale de St-Sylvère, pis pour la première fois de ma vie, j'me promenais la tête haute, Ginette! Sais-tu c'que ça veut dire ça?

GINETTE
T'as été su' 'a rue principale? En plein village? De même? Y'as-tu ben du monde qui t'ont vu?

ANDRÉE
Je sais pas... J'm'en fous! J'me sens bien, Ginette, tu comprends pas?

GINETTE
Ça va, j'ai dit. J'ai compris! Tout le canton va bientôt le savoir pis en parler de combien tu te sens bien, j'suis sûre et certaine.

ANDRÉE
Mais je veux que tu te sentes bien toi aussi, Gigi.

GINETTE
Lâche-moé le «Gigi» - là, hein? Je suis pus « ta » Gigi, okay?

ANDRÉE
Comment ça?

GINETTE
Comment ça « comment ça »?

ANDRÉE
Ben, on est toujours marié. Je t'aime moi. Y'a rien qui a changé.

GINETTE
Heu... Je comprends pas là... T'es rendue une femme, André. Je peux pas restée mariée à une femme.

ANDRÉE
Pourquoi pas? J'te l'ai dit, je suis la même personne qu'avant. Et ça, ça veut dire que j'ai toujours été une femme.

GINETTE
Tu le vois pas le problème? Tu le vois pas pentoute?

ANDRÉE
De quoi tu parles?

GINETTE
Tu le vois même pas un tout petit peu?

ANDRÉE
Vas-tu le dire c'est quoi qui te dérange autant, Ginette?

GINETTE
Ben je suis une femme moi aussi, André!

ANDRÉE
Oui. Je sais. Je sais tout ça.

GINETTE
Ça fait que on est un couple de femmes. On est comme on pourrait dire des lesbiennes, André!

ANDRÉE
Ben oui, Ginette. C'est ça que j'essaye de te faire comprendre depuis tantôt. Y'a rien qui a changé. J'aimais les femmes et je les aime encore plus aujourd'hui. Je suis une lesbienne, une femme à femmes.

GINETTE
T'es une femme aux femmes? Le p'tit farmer de Chesterville qui m'a séduit du haut de son tracteur v'la presque 30 ans, c'était une femme aux femmes ça?

ANDRÉE
Oui.

GINETTE
Le père de mes trois gars pis de ma fille, c'est une femme aux femmes ça aussi?

ANDRÉE
Tout à fait. Une femme aux femmes qui était en prison dans un corps d'homme...

GINETTE
Moi, je l'aimais ben j'pense ta prison. J'suis pas sûre que ça me tente d'être chum avec c'que t'es en liberté.

ANDRÉE
Comment tu peux me dire ça? Sais-tu combien de thérapies ça m'a pris pour me rendre là où je suis aujourd'hui? Sept ans à fouiller dans les recoins de mon âme, à consulter des spécialistes de la grand ville pour en arriver là aujourd'hui. J'me sens mieux que jamais. Comment la personne qui partage ma vie, la personne qui m'aime le plus au monde, peut rejeter ça sans se rendre compte de son erreur?

GINETTE
Tu vois, c'est ça qui m'énarve... Avant, t'étais pas de même. Tu parlais pas. Tu grognais pis tu te fermais... Là, on jurerait que t'es allé à l'université... On dirait que t'es né en ville avec tes ti-ongles parfaits pis tes p'tits cheveux bien placés...

ANDRÉE
T'es-tu jalouse?

GINETTE
Pentoute!

ANDRÉE
T'es jalouse de ta propre femme! Ha ben, j'ai mon voyage!

GINETTE
Je suis pas jalouse, bon! Pas jalouse du tout, du tout, du tout! C'est juste que...

ANDRÉE
Juste que quoi?

GINETTE
J'te trouve comme trop cute!

ANDRÉE
Comment ça trop cute?

GINETTE
On dirait que ça se peut pas qu'une si belle femme soit en amour avec moé!

ANDRÉE
Ben voyons donc, Gigi!

GINETTE
T'as pas eu quatre grossesses, toi, ça paraît! T'es-tu r'gardée? J'serais jamais capable de m'mettre tout nue devant toi sans me comparer!

ANDRÉE
J'ai aucun mérite! J'ai payé pour!

GINETTE
Pis ça coûtes-tu ben cher?

ANDRÉE
Pas mal!

GINETTE
Hé maudit! Pis toute ça pour que « Monsieur »...

ANDRÉE
« Madame! »

GINETTE
Ha oui, excuse-moi « Madame » se sente bien dans sa peau! Pour que « madame s'épanouisse », moi? Penses-tu que je m'épanouis, moi? Penses-tu que j'ai le temps de m'épanouir, moi?

ANDRÉE
Ben... J'imagine que non... Vu que t'en parles...

GINETTE
Pendant que t'as été parti, c'é moi qui s'est levé à 5 heures du matin pour aller traire les vaches pis soigner les ti-veaux... J'ai pogné ta routine, en plus de continuer de faire ma routine de femme à moé: Élever les enfants, les préparer pour l'école, faire le ménage, tenir à petite boutique de produits du terroir... J'suis pus capable, André, comprends-tu? J'suis au bout du rouleau... Mais je tenais bon. J'me disais qu'enfin, un jour, t'allais revenir pis que ça allait être mon tour de me reposer... Ben non, Monsieur est une belle madame astheure! Maudite tête folle d'innocente! Si t'étais pas une femme, j'te crisserais mon poing dans face, c'est pas mêlant!

ANDRÉE
Ben vas-y donc! Ça va peut-être te faire du bien!

GINETTE
Ben non!... Franchement! J'vas toute salir ton beau manteau...

ANDRÉE
Ginette! Cibole! J'm'en sacre du manteau! Envoye! Fesse-moé!

GINETTE
Arrête là! Je sais pus où j'en suis... Je... C'est comme si une tornade me passait au travers du corps... T'en rappelles-tu de la grosse tornade qui est passé icitte en juin 85 pis qui a toute détruit? T'en rappelles-tu, André?

ANDRÉE
Laisse-là sortir ta tornade, Ginette!

GINETTE
NON!!!

ANDRÉE
C'est quoi? T'as pas d'couilles, Ginette? C'est ça? T'as pas d'couilles???

GINETTE, enragée
Mon tabarnack!

Ginette frappe Andrée de toute ses forces. Andrée revole dans un étagère pleine de confitures maison. Andrée est sonnée.

GINETTE
Oh! André... Ça vas-tu? T'es-tu correct?

ANDRÉE, se remettant, le visage plein de confitures
Toujours été la plus forte des deux, ma belle Gigi....

GINETTE, tendre
T'as d'la confiture aux bleuets partout...

ANDRÉE, amoureuse
Où ça?

GINETTE, montrant du doigt, timide
Ben icitte... Là... (En ramassant avec son doigt) Pis là...

Andrée, doucement, lèche la confiture sur le bout du doigt de Ginette. Ginette frissonne. Ginette en reprend sur son doigt et y goûte... Bientôt, Ginette se retrouve à lécher le visage de Andrée.
Les deux femmes s'embrassent dans la confiture de bleuets.
Trois grands gaillards et Nancy reviennent dans la boutique.

NANCY
Maman???

GARS #1
On a entendu du bruit de l'étable...?

GARS #2
Fait qu'on s'est dit qu'y s'passait de quoi...?

GARS #3
...Qu'y'était arrivé de quoi à maman au magasin...?

Ginette et Andrée se relèvent.

GINETTE, fière
Les enfants: Votre papa est revenu!

FIN.

Scène lu par Danièle Fichaud et Geneviève Rioux au Crockpot du 14 janvier 2009.

1 Commentaires:

Blogger Yannou a ajouté...

Tu l'as fait lire à Michelle Blanc?

3:19 p.m.  

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