jeudi 6 août 2009

Le Cormoran

Dire que je t’ai ordonné de rester.
Dire que c’est moi qui t’a appris à aimer le loin
Qui t’a montré les voiliers.
Qui t’a appris à voler sur l’horizon.

J’aurais voulu que tu t’enracines.
Que tu plantes ta vie solide.
Juste à côté de la mienne.
Un pied su’ ‘a terre
Un pied dans l’eau
Comme moi.

Dire que j’avais rien qu’une affaire en tête.
J’avais le vent dans les voiles.
J’avais le loin dans le fond de la gorge.
J’avais mal au cœur de vivre ici.

J’aurais tout fait pour pas être
Pour pas faire
Comme toi.
Toi qui perdais ta vie à watcher le Fleuve
À regarder passer les bateaux.

T’en as jamais pris de boat.
Tu les as tout le temps manqués.
T’as jamais osé!

Quand tu l’as pris
Ton lointain à bout de bras.
Quand le vent a gonflé tes voiles.
Dans tes yeux
Je voyais pus rien de moi.
T’étais fier comme un autre.
Orgueilleux comme un étranger.



Ça fait tellement longtemps
J’en ai rêvé depuis des siècles, on dirait.

J’ai tellement attendu ce moment-là
Qu’on dirait qu’astheure que j’y goûte
Je sens pus rien.

Je reviens.
Je me retrouve.
Je me reviens.
Je suis de retour au bout du monde!

T’aurais dû rester en ville
T’accrocher à ton béton.
Rester perdu dans tes embouteillages.

J’ai compris qu’il y a juste une place au monde
Où j’vas être moi.
Mes racines sur la grève.
Mes montagnes de sapins pis d’épinettes.
Mes falaises qui se jettent dans la mer.
Mon large à moi.
À perte de vue.

Tout est resté pareil.
Y’a rien qui change ici
À la fin des terres.
Les mêmes montagnes de vents.
Les mêmes falaises qui s’effritent à petit feu.
Le même large à perte de vue.
À perdre sa vie.

Dire que je te l’ai jamais dit
« T’as bien fait de partir, mon gars »
C’était moi qui étais fier
Tellement fier de toi.

Dire que je te l’aurai jamais dit
« J’ai tellement regretté, papa »
J’ai jamais arrêté d’avoir peur.
Sauf aujourd’hui.